- Par Abdelhakim Yamani, Président de l’IGH.
Il était temps. En choisissant d’effectuer une visite d’État au Maroc avec une imposante délégation économique, Emmanuel Macron ne fait pas que renouer avec un partenaire historique. Il enterre, enfin, une conception délétère des relations post-coloniales basée sur le chantage mémoriel permanent.
Combien d’années la France a-t-elle perdu à se plier aux exigences mémorielles sans cesse renouvelées d’Alger ? Combien de gestes, de discours, de commissions et de repentances pour aboutir, invariablement, à de nouvelles crises diplomatiques, à de nouvelles exigences, à de nouveaux reproches ?
Le contraste est saisissant. D’un côté, un pays qui a transformé son passé colonial en fonds de commerce diplomatique, de l’autre, un royaume qui a choisi de faire de son histoire un tremplin vers l’avenir. Quand Alger exige des excuses, Rabat présente des projets. Quand l’une cultive les ressentiments, l’autre cultive les investissements.
L’ironie veut que ce soit le Maroc qui hérite aujourd’hui de 2,5 millions de documents d’archives historiques français. Non pas pour alimenter une quelconque machine à griefs, mais pour enrichir sa connaissance du passé. La différence d’approche est édifiante : pendant qu’Alger instrumentalise l’histoire, Rabat la documente.
Le « privilège historique » que s’arrogeait l’Algérie dans ses relations avec la France n’aura donc pas survécu au pragmatisme des temps modernes. Il était devenu absurde de voir une relation bilatérale majeure perpétuellement otage d’un passé transformé en arme diplomatique.
Les jeunes générations, des deux côtés de la Méditerranée, aspirent à autre chose. Elles ne veulent plus être les otages d’une histoire qu’elles n’ont pas vécue. Elles regardent avec intérêt le modèle marocain qui démontre qu’il est possible d’avoir été colonisé sans transformer cette période en unique grille de lecture des relations internationales.
Le choix français est clair : le temps du chantage affectif est révolu. La valeur d’un partenariat se mesure désormais à sa capacité à générer du progrès mutuel, pas à entretenir des ressentiments. Une relation post-coloniale mature est possible, à condition de ne pas faire de l’histoire un carcan empêchant tout progrès.
La réaction d’Alger ne se fera pas attendre. On peut déjà anticiper les éditoriaux enflammés, les rappels historiques indignés, les accusations de trahison. Mais cette fois, le mécanisme semble grippé : à force d’avoir été utilisée, l’arme du passé a perdu de son efficacité.
Cette visite présidentielle marque donc plus qu’un simple déplacement diplomatique. Elle signe l’acte de décès d’une certaine conception des relations franco-maghrébines, où le chantage mémoriel primait sur la construction d’un avenir commun.
Les temps changent. Dans un monde en mutation accélérée, les partenariats se construisent sur des projets concrets, pas sur des postures morales. Le Maroc l’a compris depuis longtemps. L’Algérie devra s’y faire : la rente mémorielle, comme la rente pétrolière, a une fin.
Reste à voir si d’autres pays européens, également soumis au chantage mémoriel perpétuel, suivront l’exemple français. Une chose est sûre : un nouveau modèle de relations post-coloniales émerge, basé sur le pragmatisme plutôt que sur le ressentiment. Il était temps.