Par Abdelhakim Yamani
L’arrestation de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal le 16 novembre 2024 révèle les mécanismes complexes d’un système en crise. Contrairement aux premières informations, l’écrivain de 75 ans n’a pas été interpellé à l’intérieur de l’aéroport international Houari Boumediene, mais a été suivi et appréhendé une fois sorti de l’enceinte aéroportuaire, selon une méthode rappelant les pratiques des années 90. Cette précision sur la méthode d’arrestation soulève des questions sur la nature délibérée d’une opération qui aurait pu être évitée par une simple notification judiciaire préalable.
La réaction officielle, via une dépêche de l’APS particulièrement virulente, illustre la nervosité d’un régime qui recourt immédiatement à sa rhétorique traditionnelle du complot tripartite Maroc-France-Israël. Dans un exercice révélateur, l’agence officielle s’en prend nommément à une liste impressionnante de personnalités : Eric Zemmour, Mohamed Sifaoui, Marine Le Pen, l’ancien ambassadeur Xavier Driencourt, Valérie Pécresse, Jack Lang, Nicolas Dupont-Aignan, réservant ses attaques les plus acerbes à l’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun et à l’intellectuel algérien Kamel Daoud, avant de conclure par une référence à Benjamin Netanyahu.
Le timing de cette affaire prend une dimension particulière au regard de l’évolution de la position américaine. La lettre de septembre 2022 dans laquelle Marco Rubio, aujourd’hui confirmé comme futur Secrétaire d’État de l’administration Trump, accompagné de 21 congressistes, appelait déjà à des sanctions contre le régime algérien, apparaît rétrospectivement comme un signal précurseur. La position de Rubio sur l’Algérie n’ayant depuis lors que durci, son arrivée prochaine au département d’État en janvier 2025 laisse présager une période difficile pour les relations algéro-américaines.
Cette arrestation intervient précisément pendant la visite d’Uzra Zeya, Sous-secrétaire d’État américaine chargée des droits humains et des libertés publiques. Ce timing malheureux transforme une affaire potentiellement interne en incident diplomatique majeur, d’autant plus que l’incarcération de Sansal à la prison d’El Kolea, connue pour ses 160 prisonniers politiques kabyles, soulève la question sensible du traitement des opposants en Algérie.
La séquence des événements interroge sur les mécanismes décisionnels au sein du pouvoir algérien. L’écrivain avait quitté librement l’Algérie le 5 novembre, et ses déclarations controversées étaient déjà connues. Le choix d’une arrestation spectaculaire plutôt qu’une procédure judiciaire normale suggère soit une désorganisation inquiétante des services de sécurité, soit une volonté délibérée de confrontation dont la logique reste à élucider.
Ce développement intervient dans un contexte particulièrement délicat pour le régime algérien. La légitimité de Tebboune est fortement contestée après des élections de septembre 2024 marquées par une abstention massive et des accusations de fraude généralisée. Sur le plan international, l’isolement diplomatique s’accentue, notamment avec la reconnaissance croissante de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental marocain.
Les implications internationales de cette affaire dépassent largement le cadre bilatéral franco-algérien. La mobilisation immédiate de l’Élysée, avec Emmanuel Macron se déclarant « très préoccupé », ajoute une dimension diplomatique complexe à la situation. La double nationalité récemment acquise par Sansal place la France dans l’obligation d’intervenir pour protéger son ressortissant.
Cette crise révèle également les limites de la stratégie de communication du régime algérien. Le recours systématique à la théorie du complot et aux attaques personnelles via l’agence officielle APS apparaît de plus en plus en décalage avec les standards de la diplomatie moderne, particulièrement à l’approche d’une administration Trump potentiellement hostile.
Les perspectives d’évolution de cette crise dépendront largement de la capacité du régime algérien à gérer ses relations internationales dans un contexte de plus en plus défavorable. L’arrivée prochaine de Marco Rubio au département d’État, combinée à l’isolement croissant sur la scène régionale, pourrait marquer le début d’une période particulièrement difficile pour un régime qui semble perdre progressivement sa capacité à maintenir un équilibre entre répression interne et acceptabilité internationale.