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Sahel : Une approche holistique de la stabilisation

La stabilisation du Sahel nécessite aujourd’hui une approche fondamentalement nouvelle, tirant les leçons des échecs passés tout en intégrant les réalités géopolitiques émergentes. L’expérience française, notamment à travers l’opération Barkhane, a clairement démontré les limites d’une approche principalement militaire et la contre-productivité d’une présence étrangère massive sur le terrain. Cette leçon essentielle doit guider l’élaboration d’une stratégie radicalement différente, où la dimension sécuritaire, bien qu’indispensable, n’est qu’une composante d’une approche plus globale.

Le fondement de cette nouvelle approche repose sur une double conviction : d’une part, la sécurité ne peut être dissociée du développement économique et social ; d’autre part, toute solution durable doit émaner des acteurs locaux et être portée par eux. L’échec des interventions précédentes résulte largement de l’ignorance de ces principes fondamentaux.

La pierre angulaire de cette stratégie repose sur une configuration inédite entre le Maroc et l’AFRICOM, qui doit surmonter un obstacle majeur : la doctrine marocaine de non-installation de bases militaires étrangères sur son territoire. Cette position, constante depuis l’indépendance du royaume, constitue un pilier de sa souveraineté nationale et trouve ses racines dans l’histoire complexe des relations militaires américano-marocaines.

Au fil de l’histoire, le Maroc a maintenu une position constante concernant les bases militaires étrangères. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les bases américaines établies dans le cadre de l’opération Torch constituaient une réponse à des circonstances exceptionnelles. Durant la guerre froide, malgré des pressions considérables, le Maroc a maintenu une coopération militaire étroite avec les États-Unis tout en évitant systématiquement depuis 1973 l’installation de bases permanentes. Cette position s’est maintenue lors de la création d’AFRICOM en 2007, même si le Maroc était considéré comme un site potentiel idéal pour son quartier général.

Un nouveau modèle de collaboration doit donc être imaginé, respectant scrupuleusement la souveraineté marocaine tout en permettant une coopération opérationnelle efficace. Ce modèle pourrait s’articuler autour de centres de commandement conjoints, d’accords de coopération temporaires et spécifiques, et de facilités logistiques n’impliquant pas une présence militaire étrangère permanente. Les exercices « African Lion » démontrent déjà la possibilité d’une coopération militaire intensive sans compromettre les principes de souveraineté.

L’architecture opérationnelle proposée repose sur trois piliers complémentaires. Premièrement, une présence aérienne dominante, principalement via des drones de surveillance et d’intervention, permettant une réaction rapide sans empreinte au sol significative. Deuxièmement, la formation et l’équipement des forces locales, visant à développer leurs capacités autonomes. Troisièmement, l’appui ponctuel de forces spéciales étrangères, toujours sous commandement conjoint avec primauté décisionnelle locale.

Le volet développement constitue un aspect crucial de cette stratégie. L’approche doit être résolument « bottom-up« , partant des besoins exprimés par les communautés locales. Ces projets doivent produire des résultats rapides et tangibles : points d’eau, centres de santé, écoles, projets agricoles, initiatives génératrices de revenus. L’impact immédiat sur la vie quotidienne des populations est essentiel pour maintenir leur adhésion à la stratégie de stabilisation.

L’Initiative marocaine d’accès à l’Atlantique pour les pays du Sahel offre un cadre idéal pour cette approche développementale. Elle permet d’articuler les projets locaux à impact rapide avec des infrastructures structurantes régionales. Cette initiative illustre parfaitement la possibilité de combiner développement local et intégration régionale, répondant aux besoins immédiats des populations tout en construisant les bases d’une prospérité durable.

La mise en œuvre des projets de développement doit impérativement rester sous le contrôle des autorités et communautés locales. Le rôle des partenaires internationaux se limite strictement à l’appui technique et financier, excluant toute substitution aux acteurs locaux. Cette approche garantit non seulement l’adéquation des projets aux besoins réels mais aussi leur durabilité et leur appropriation par les bénéficiaires.

Un mécanisme de financement innovant doit être mis en place, allant au-delà des sources traditionnelles d’aide internationale. Des partenariats public-privé, des fonds d’investissement dédiés, et des obligations d’impact social doivent être mobilisés. La diversification des sources de financement est cruciale pour assurer la pérennité des initiatives et réduire la dépendance aux financements extérieurs classiques.

La coordination entre les différents acteurs représente un défi majeur. Un système de pilotage multinational doit être établi, opérant à trois niveaux : stratégique pour la définition des orientations, opérationnel pour la coordination des actions, et tactique pour la mise en œuvre sur le terrain. Ce système doit garantir une action cohérente tout en respectant scrupuleusement la souveraineté de chaque pays.

La communication joue un rôle crucial dans cette stratégie. Elle doit être exclusivement portée par les acteurs locaux, évitant toute apparence d’ingérence étrangère. Les succès doivent être systématiquement attribués aux autorités locales, renforçant ainsi leur légitimité auprès des populations. Cette approche permet d’éviter les écueils de la « présence étrangère visible » qui a souvent miné les interventions précédentes.

Le rôle du Maroc s’étend bien au-delà de l’aspect géographique et logistique. Sa compréhension profonde des réalités sahéliennes, son expertise en matière de lutte contre la radicalisation, ses capacités de formation religieuse et son savoir-faire en matière de développement économique en font un acteur incontournable. Sa position unique comme pont entre différents mondes – occidental, africain, arabe – représente un atout stratégique majeur.

La dimension temporelle est cruciale et doit être gérée avec précision. Des résultats rapides et visibles sont nécessaires pour maintenir l’adhésion des populations, mais la transformation profonde des conditions sécuritaires et économiques exige un engagement de long terme. Cette dualité temporelle doit être intégrée dans la planification de chaque aspect de la stratégie.

La réussite de cette approche holistique dépend fondamentalement de plusieurs facteurs clés : l’appropriation locale à tous les niveaux, la coordination efficace entre acteurs internationaux, et la capacité à générer des résultats tangibles pour les populations. Le maintien d’équilibres délicats – entre engagement international et leadership local, entre impératifs sécuritaires et développement économique, entre efficacité opérationnelle et acceptabilité politique – est essentiel.

La stabilisation du Sahel ne pourra réussir que par cette approche intégrée, reconnaissant la complexité des défis et y répondant de manière nuancée et respectueuse des souverainetés locales. Le succès de cette stratégie ouvrira la voie à un nouveau modèle de coopération internationale en matière de stabilisation régionale, où le développement et la sécurité se renforcent mutuellement sous leadership local.

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