Par Abdelhakim Yamani
Dans son dernier discours commémorant la Marche Verte, le Roi Mohammed VI a marqué un tournant décisif dans les relations maroco-algériennes. La coïncidence temporelle avec la victoire de Donald Trump aux élections américaines du 5 novembre 2024 pourrait sembler donner raison à la junte algérienne. Pourtant, cette lecture est d’une naïveté qui confine au ridicule stratégique.
Il y a dans l’utilisation péjorative du terme « Makhzen » par la junte algérienne quelque chose de profondément révélateur. Ce mot qu’ils ont tant galvaudé, utilisé comme une insulte, va bientôt retrouver tout son sens historique. Douze siècles de raffinement politique contre quelques décennies de gestion militaire : le contraste promet d’être saisissant. Le « Makhzen », cette institution qu’ils pensaient avoir comprise en lisant des rapports simplistes, va bientôt leur donner une leçon de sophistication politique qu’ils ne sont pas près d’oublier.
La junte politico-militaire algérienne vient de tomber dans le piège classique des esprits simples : confondre corrélation et causalité. Certes, le changement de ton royal coïncide avec le retour annoncé de Trump à la Maison Blanche, mais réduire la stratégie makhzénienne à cette seule dimension révèle une incompréhension abyssale de l’art diplomatique marocain.
Depuis 2013, le Maroc a traversé – et surmonté avec brio – une série de crises diplomatiques majeures qui auraient pu ébranler un État moins aguerri. Face aux États-Unis, le Royaume a su manœuvrer avec une telle finesse que Washington a fini par reconnaître sa souveraineté sur le Sahara. L’Allemagne, après une période de tensions, s’est alignée sur la position marocaine. L’Espagne, dans un revirement historique, a abandonné ses positions traditionnelles pour soutenir l’initiative d’autonomie marocaine. Même la France, malgré ses récentes turbulences avec le Royaume, commence à comprendre qu’on ne défie pas impunément une diplomatie millénaire.
Ces succès diplomatiques successifs ne sont pas le fruit du hasard. Ils témoignent d’une sophistication politique que nos voisins de l’Est, avec leur vision manichéenne des relations internationales, sont bien incapables de décrypter. À chaque crise, les observateurs pressés annonçaient l’isolement du Maroc. À chaque fois, le Royaume est sorti renforcé, démontrant que la patience et la subtilité l’emportent toujours sur la brutalité des rapports de force.
Le dossier du Sahara illustre parfaitement cette sophistication diplomatique marocaine. Depuis 1956, le Royaume poursuit inlassablement le recouvrement de son intégrité territoriale avec une constance qui force l’admiration. Là où d’autres auraient cédé à la précipitation ou au découragement, le Maroc a démontré une patience stratégique remarquable, surmontant un à un les obstacles, bravant méthodiquement les écueils.
Cette quête diplomatique de plus d’un demi-siècle est un cas d’école de la méthode makhzénienne : une vision claire des objectifs couplée à une flexibilité totale dans les moyens de les atteindre. Le résultat est là : le Royaume se trouve aujourd’hui dans une position plus confortable que jamais sur ce dossier, ayant progressivement rallié à sa cause des puissances qui lui étaient jadis hostiles ou indifférentes.
La junte algérienne, qui pensait avoir trouvé dans ce dossier un moyen d’affaiblir son voisin, découvre avec stupeur qu’elle n’a fait que renforcer sa détermination et sa créativité diplomatique. Le Makhzen a transformé chaque obstacle en opportunité, chaque crise en occasion de renforcer ses positions, jusqu’à atteindre cette situation enviable où même ses anciens détracteurs reconnaissent le bien-fondé de ses positions.
Le Maroc a démontré ces dernières années sa capacité à naviguer avec une élégance déconcertante dans des eaux diplomatiques tumultueuses. Que ce soit sous Biden ou Trump, face à des gouvernements de gauche ou de droite en Europe, le Royaume a fait preuve d’une constance qui échappe totalement à la compréhension de nos voisins de l’Est.
Ce qui échappe à l’analyse algérienne, prisonnière de ses schémas militaires, c’est que la stratégie marocaine s’inscrit dans une temporalité plus subtile que le simple calendrier électoral américain. Le Makhzen orchestre une partition dont la complexité dépasse largement les capacités d’analyse des stratèges en treillis.
Si 2025 s’annonce comme une année mémorable, ce n’est pas en raison du changement d’administration à Washington. La stratégie marocaine, patiemment élaborée, transcende ces considérations de politique intérieure américaine. Le timing du discours royal s’inscrit dans une chorégraphie diplomatique dont la finesse échappe totalement aux analystes algériens.
« La distance la plus courte entre deux points n’est pas forcément la ligne droite. » Cette maxime, incompréhensible pour ceux qui ne conçoivent les relations internationales qu’à travers le viseur d’une lunette militaire, est au cœur de l’art diplomatique makhzénien. Le Maroc excelle dans cet art du contournement stratégique, cette capacité à atteindre ses objectifs par des voies que ses adversaires ne soupçonnent même pas.
Pendant que la junte trace des lignes droites sur ses cartes d’état-major, le Makhzen dessine des arabesques diplomatiques dont la complexité échappe totalement aux esprits formatés par l’école militaire.
Ceux qui croyaient connaître le Prince héritier ont découvert un Roi dont la sophistication stratégique a dépassé toutes les attentes. Sa transformation incarne parfaitement l’essence même du Makhzen : une capacité rare à combiner héritage historique et vision moderne, patience stratégique et audace diplomatique. Le Souverain a développé un style de gouvernance qui allie subtilement tradition et innovation, surprenant constamment ses adversaires par sa capacité à transcender les schémas conventionnels de la diplomatie régionale.
Mohammed VI incarne à la perfection cette institution millénaire que nos voisins ont tant caricaturée sans jamais la comprendre. Sa maîtrise du temps long, sa capacité à orchestrer des mouvements diplomatiques complexes, et son art de transformer les crises en opportunités témoignent d’une sophistication politique qui échappe totalement aux analyses simplistes de la junte algérienne.
L’erreur d’analyse de la junte algérienne n’est pas seulement révélatrice, elle est symptomatique : en cherchant des explications simplistes à des mouvements diplomatiques complexes, elle signe là sa plus grande faiblesse. L’année 2025 s’annonce comme celle où le terme « Makhzen » retrouvera toute sa noblesse, au grand dam de ceux qui l’ont tant galvaudé.
Laissons donc nos voisins à leurs calculs arithmétiques et leurs théories du complot. Le Makhzen, lui, continue de tisser sa toile avec cette patience millénaire qui a fait sa force. Une chose est certaine : la leçon de diplomatie qui s’annonce restera dans les annales, même si elle risque de passer bien au-dessus de certaines têtes galonnées.