mercredi 4 décembre 2024
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Maroc-Iran : Les prémices d’un dégel ?

Par Abdelhakim Yamani 


Les relations entre le Maroc et l’Iran semblent entrer dans une phase d’observation mutuelle prudente, marquée par des signaux contradictoires et des enjeux complexes. La récente visite secrète d’un émissaire iranien de haut niveau à Rabat, fin octobre 2024, accompagné de médiateurs de deux pays arabes, suggère l’existence de canaux diplomatiques discrets, bien que les positions officielles demeurent figées.

Cette tentative de rapprochement s’inscrit dans un contexte plus large de repositionnement stratégique de l’Iran dans le monde musulman, illustré notamment par sa réconciliation du 10 mars 2023 avec l’Arabie Saoudite sous médiation chinoise. Les déclarations du ministre iranien des Affaires étrangères, Hossein Amir-Abdollahian, le 29 juin 2023, exprimant le souhait de son pays de normaliser ses relations avec le Maroc, témoignent d’une volonté apparente de Téhéran de sortir de son isolement diplomatique.

Un élément nouveau vient renforcer la probabilité d’une évolution positive : la détérioration marquée des relations entre l’Iran et l’Algérie, traditionnellement alliés. La publication par l’agence iranienne IRNA d’un message menaçant envers l’Algérie début novembre 2024, précisément le jour de la visite d’État d’Emmanuel Macron au Maroc, constitue un signal fort. Cette rupture avec la traditionnelle subtilité diplomatique iranienne, couplée à l’absence notable de dignitaires iraniens aux célébrations du 70ème anniversaire de la révolution algérienne, suggère une reconfiguration profonde de la stratégie iranienne dans la région.

Cependant, les obstacles à une véritable normalisation demeurent considérables. Le Maroc avait rompu ses relations diplomatiques avec l’Iran le 1er mai 2018, dénonçant le soutien de Téhéran au Front Polisario via le Hezbollah. Cette rupture, la deuxième après celle de 2009, était intervenue après des révélations concernant la fourniture d’armements et l’implication dans la formation militaire des séparatistes. La livraison documentée de drones Shahed 136 au Polisario constitue un point de blocage majeur.

La dimension sécuritaire occupe une place centrale dans les tensions bilatérales. Des rapports internationaux ont mis en évidence diverses opérations hostiles : infiltration de la diaspora marocaine à l’étranger, activités de déstabilisation, et campagnes de désinformation coordonnées. Ces activités s’inscrivent dans une stratégie plus large visant à déstabiliser l’ensemble de la sous-région sahélo-saharienne.

Le profil sécuritaire de l’émissaire iranien reçu à Rabat suggère que les discussions ont principalement porté sur ces questions sensibles. L’Iran semble chercher à rassurer le Maroc sur ses intentions, dans un contexte où Téhéran paraît engagé dans une reconfiguration accélérée de ses alliances, privilégiant désormais la solidité à l’idéologie. La perspective d’un possible retour de Donald Trump à la Maison Blanche en 2024 — Trump n’avait pas encore été élu lors de la visite — semble notamment pousser l’Iran à un redéploiement stratégique préventif.

La position géostratégique du Maroc continue néanmoins de complexifier l’équation. Le Royaume a développé des partenariats stratégiques majeurs, notamment à travers l’Accord Tripartite signé le 22 décembre 2020 avec les États-Unis et Israël, ce qui le place théoriquement  dans un camp opposé aux intérêts iraniens. Toutefois, la capacité démontrée de l’Iran à transcender des antagonismes historiques, comme l’illustre sa réconciliation avec l’Arabie Saoudite, laisse entrevoir des possibilités d’évolution.

Les pays arabes médiateurs tentent de jouer un rôle constructif, s’appuyant sur le précédent saoudien pour encourager une désescalade. Cette médiation s’inscrit dans un contexte plus large où l’Iran semble évoluer vers un plus grand pragmatisme diplomatique, privilégiant les intérêts stratégiques aux alignements idéologiques.

Le Maroc, fidèle à sa doctrine diplomatique basée sur la clarté des positions et la défense inconditionnelle de ses intérêts nationaux, pose des conditions strictes à toute normalisation. Comme l’a rappelé le Roi Mohammed VI, « le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international, et l’aune qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats« .

Si la probabilité d’une normalisation à court terme reste modérée, le contexte actuel de redéploiement stratégique iranien pourrait favoriser une évolution positive. La rupture apparente entre l’Iran et l’Algérie, combinée à l’adoption d’une approche plus pragmatique par Téhéran, ouvre des perspectives nouvelles. L’évolution de ce dossier dépendra largement de la capacité de l’Iran à démontrer concrètement un changement d’approche, particulièrement concernant son soutien au Polisario et ses activités dans la région.

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