À l’heure où la communication politique moderne se résume souvent à des déclarations tonitruantes sur les réseaux sociaux et à une surenchère de petites phrases destinées aux chaînes d’information en continu, le Makhzen marocain cultive un art millénaire de la communication par symboles qui défie le temps et transcende les supports.
Cette pratique ancestrale du pouvoir marocain se distingue par sa sophistication et sa subtilité. Là où d’autres régimes politiques privilégient l’explicite et l’immédiat, le Makhzen développe depuis des siècles une communication basée sur les signes, les non-dits et les messages codés. Cette approche n’est pas le fruit du hasard mais l’héritage d’une tradition politique raffinée où le message important n’est jamais celui qui est directement énoncé.
Dans la tradition du Makhzen, chaque geste, chaque détail, chaque mise en scène est potentiellement porteur de sens. Un déplacement, un choix vestimentaire, une présence ou une absence, tout peut être interprété comme un signal politique. Cette communication sophistiquée exige de ses destinataires une véritable expertise en matière de décryptage, créant ainsi une forme d’intelligence collective où la compréhension des messages nécessite une connaissance approfondie des codes culturels et politiques marocains.
Les récentes photos parisiennes de Mohammed VI avec le Prince Héritier et la Princesse Lalla Khadija illustrent parfaitement cette maîtrise de la communication indirecte. Leur apparente spontanéité dissimule une orchestration minutieuse de multiples messages : démonstration de la bonne santé du souverain face aux rumeurs, affirmation de la solidité dynastique par la présence simultanée du roi et du prince héritier, projection d’une image de modernité à travers le cadre parisien et l’usage du selfie, et même message géopolitique subtil via le choix d’un vêtement de la marque « Who decides war » dans un contexte de tensions régionales.
L’efficacité de ce mode de communication repose paradoxalement sur son caractère indirect. En évitant la confrontation verbale directe et la déclaration explicite, il permet de faire passer des messages d’une grande fermeté tout en préservant la dignité de tous les acteurs. Cette approche s’avère particulièrement pertinente dans la gestion des relations diplomatiques complexes, où les tensions doivent être gérées sans provoquer d’escalade incontrôlable.
Un même geste peut ainsi porter des messages différents selon les destinataires : rassurant pour l’opinion publique nationale, dissuasif pour les adversaires potentiels, fédérateur pour les alliés. Cette polysémie maîtrisée transforme chaque acte de communication en un outil diplomatique d’une rare sophistication.
La modernité et les nouvelles technologies, loin de rendre obsolète cette pratique traditionnelle, lui offrent de nouveaux canaux d’expression. Les réseaux sociaux démultiplient la portée de ces messages codés, permettant différents niveaux de lecture selon le degré de compréhension des codes du Makhzen par leurs destinataires.
Cette expertise dans le maniement des symboles constitue un véritable soft power marocain, témoignant d’une sophistication politique qui réussit à conjuguer tradition et modernité. Dans un monde où la communication politique semble souvent prisonnière de l’immédiateté et de la surenchère, le Makhzen démontre la pérennité et l’efficacité d’un système où la subtilité reste l’instrument privilégié du pouvoir.