Par Abdelhakim Yamani
La perspective d’une reprise des relations diplomatiques entre le Maroc et l’Iran s’inscrit dans un contexte géopolitique particulièrement mouvant, marqué par des reconfigurations majeures tant au niveau régional qu’international. Cette éventuelle normalisation révèle une convergence de facteurs qui poussent particulièrement l’Iran vers un pragmatisme diplomatique inédit.
La République islamique traverse une période critique qui remet en question ses fondamentaux stratégiques. L’échec patent de sa stratégie de guerre hybride menée via des proxys apparaît désormais évident. Le Hezbollah, pilier de cette approche, a vu son commandement décapité, tandis que le Hamas, bien que non directement affilié à Téhéran, subit des revers majeurs. Plus révélateur encore de l’affaiblissement iranien, ses menaces de fermer le détroit de Gibraltar sont restées lettre morte, et même la perturbation du trafic maritime par les Houthis dans le détroit de Bab El-Mandeb n’a eu qu’un impact limité. Comble de ce recul stratégique, l’Iran n’a même pas osé concrétiser sa menace historique de fermer le détroit d’Ormuz.
Sur la scène internationale, l’Iran se trouve relativement isolé. Son allié russe, englué dans le conflit ukrainien, n’offre qu’un soutien limité, tandis que la Chine maintient sa traditionnelle approche non-interventionniste. La perspective du retour de Donald Trump à la Maison Blanche, désormais président élu, accentue la pression sur le régime iranien, le poussant vers un pragmatisme diplomatique accéléré.
Dans ce contexte, Téhéran multiplie les initiatives de normalisation. Après des ouvertures en direction du Maroc et de l’Égypte, l’Iran a sollicité la médiation de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes unis pour faciliter un rapprochement avec le royaume chérifien. Cette démarche s’est concrétisée par la visite à Rabat d’un émissaire iranien de haut niveau, accompagné de médiateurs des deux pays du Golfe. Parallèlement, Téhéran a orchestré une rencontre entre son ambassadeur à l’ONU et Elon Musk, tentant d’amorcer un dialogue avec les États-Unis en prévision du prochain mandat Trump.
Côté marocain, la méfiance envers l’Iran s’enracine dans une longue histoire de tensions. La rupture idéologique remonte à 1979, lorsque l’ayatollah Khomeini accéda au pouvoir en Iran, provoquant une confrontation publique avec feu Hassan II qui avait accordé l’asile au Shah déchu. Plus récemment, l’activisme d’Amir Moussaoui, officiellement attaché culturel à l’ambassade d’Iran à Alger mais identifié comme général de brigade des Pasdaran, a cristallisé les griefs marocains. Son rôle dans l’organisation de formations pour le Polisario, tant en Algérie qu’en Syrie et au Liban, ainsi que la coordination de voyages de responsables séparatistes vers Téhéran via Damas ou Bagdad, ont particulièrement irrité Rabat.
Les contentieux dépassent largement la question du Polisario. Le prosélytisme chiite ciblant la diaspora marocaine, notamment en Belgique dès les années 1980, les tentatives de déstabilisation intérieure comme l’affaire de la cellule Belliraj en janvier 2008, ou encore l’infiltration d’ONG marocaines, constituent autant de points de friction.
Les récents contacts préliminaires entre les deux pays revêtent une importance particulière. Le profil sécuritaire de haut niveau de l’émissaire iranien suggère que les discussions ont prioritairement porté sur les questions de sécurité régionale. Cette phase exploratoire permet au Maroc d’exposer ses griefs et ses exigences, tandis que l’envoyé iranien est chargé de rapporter ces positions à sa hiérarchie politique à Téhéran.
Le Maroc aborde ces échanges fort d’une expérience diplomatique éprouvée en matière de résolution de crises. Les précédents succès avec les États-Unis en 2013, puis plus récemment avec l’Allemagne, l’Espagne et la France, démontrent la capacité du royaume à gérer patiemment les tensions diplomatiques pour atteindre ses objectifs stratégiques. Dans le cas présent, ces objectifs sont doubles : accentuer l’isolement diplomatique de l’Algérie et empêcher que le Polisario ne devienne un proxy iranien en complément de son affiliation algérienne.
Cette normalisation potentielle s’inscrit dans une reconfiguration plus large des équilibres régionaux. Pour l’Iran, il s’agit d’une adaptation pragmatique à des contraintes croissantes, tandis que pour le Maroc, c’est l’opportunité de renforcer sa position régionale tout en neutralisant une source potentielle de déstabilisation. L’issue de ces contacts préliminaires dépendra largement de la capacité de Téhéran à répondre aux exigences marocaines, particulièrement en matière de sécurité régionale et de soutien au séparatisme.
Les développements à venir dans ce dossier seront révélateurs non seulement de l’évolution des relations bilatérales, mais aussi des nouvelles dynamiques régionales en construction. La patience stratégique dont fait preuve le Maroc, combinée au pragmatisme croissant de l’Iran, pourrait ouvrir la voie à une reconfiguration significative des équilibres régionaux, dont les implications dépasseraient largement le cadre des relations bilatérales.