TANGER, 24 oct 2024 -(IGH) – La visite d’État du président Emmanuel Macron au Maroc, prévue pour fin octobre 2024, marquera paradoxalement à la fois la reprise de l’excellence des relations franco-marocaines et une rupture historique. Cette visite, rendue possible uniquement après la reconnaissance par la France de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, symbolise l’aboutissement d’un long processus d’émancipation du Maroc vis-à-vis de son ancien colonisateur. Elle illustre la fin définitive de l’influence résiduelle française qui perdurait depuis l’indépendance en 1956, ouvrant la voie à un partenariat radicalement redéfini entre les deux nations.
L’héritage colonial : une influence omniprésente
Au lendemain de l’indépendance en 1956, l’influence française au Maroc demeure écrasante. L’administration, l’économie, l’éducation et la culture restent profondément marquées par 44 années de protectorat. La France conserve une présence militaire significative, avec 70 000 soldats sur le sol marocain. Elle domine les échanges commerciaux, représentant plus de 50% des importations et exportations du royaume. Le français reste la langue de l’administration et de l’enseignement supérieur, tandis que les entreprises françaises contrôlent des pans entiers de l’économie marocaine. Cette omniprésence française, bien qu’acceptée dans un premier temps comme nécessaire à la transition, va rapidement être perçue comme un frein à la pleine souveraineté du Maroc.
Les années 60-70 : les premiers signes d’émancipation
Dès les années 1960, le Maroc entreprend de s’émanciper progressivement de la tutelle française. Le retrait des troupes françaises en 1963 marque une première étape symbolique. Sur le plan économique, le Maroc lance des politiques de « marocanisation » des entreprises, visant à réduire la mainmise française sur l’économie nationale. Dans le domaine de l’éducation, un processus d’arabisation est initié, bien que limité dans un premier temps. Ces mesures, si elles ne remettent pas fondamentalement en cause la relation privilégiée avec la France, témoignent de la volonté marocaine d’affirmer sa souveraineté et de diversifier ses partenariats.
La diversification économique : réduire la dépendance
À partir des années 1970 et surtout 1980, le Maroc s’engage dans une stratégie de diversification de ses partenaires économiques. Si la France reste un partenaire majeur, son poids relatif diminue progressivement. Les investissements directs étrangers français, qui représentaient 70% du total en 1960, tombent à 45% en 1980, puis à 30% en 2000. Le Maroc développe ses relations économiques avec d’autres pays européens, les États-Unis, les pays du Golfe, et plus tard la Chine. Cette diversification permet au Maroc de réduire sa dépendance économique vis-à-vis de la France et d’accroître sa marge de manœuvre diplomatique.
L’affirmation culturelle : entre francophonie et identité africano-arabo-musulmane
Le domaine culturel et linguistique illustre particulièrement bien la complexité du processus d’émancipation marocain. Si l’arabisation de l’enseignement primaire et secondaire progresse, le français conserve une place importante dans l’enseignement supérieur et le monde des affaires. Le Maroc maintient son adhésion à la francophonie tout en affirmant son identité africano-arabo-musulmane. Cette politique d’équilibre reflète la volonté du Maroc de préserver les acquis de son histoire tout en s’affirmant comme une nation africaine et arabe indépendante. Progressivement, le français passe du statut de langue quasi-officielle à celui de première langue étrangère, symbolisant le recul de l’influence culturelle française.
Le Sahara occidental : pomme de discorde croissante
La question du Sahara occidental, territoire revendiqué par le Maroc depuis 1975, devient progressivement un point de friction majeur dans les relations franco-marocaines. Le Maroc attend de la France, son allié historique, un soutien clair à ses revendications. Or, la position française, qui se veut équilibrée entre les intérêts marocains et algériens, est perçue à Rabat comme une trahison. Cette question, qui prend une importance croissante dans la politique étrangère marocaine, va devenir le prisme à travers lequel le Maroc évalue la sincérité de ses partenariats internationaux, y compris avec la France.
Les crises diplomatiques : révélatrices des tensions sous-jacentes
Au fil des décennies, plusieurs crises diplomatiques viennent ébranler les relations franco-marocaines, révélant les tensions sous-jacentes. L’affaire Ben Barka en 1965, les désaccords sur le Sahara occidental, l’affaire Hammouchi en 2014, ou encore la crise des visas en 2021, sont autant d’épisodes qui mettent à mal la prétendue « exception » des relations franco-marocaines. Ces crises, de plus en plus fréquentes et intenses, témoignent de l’érosion progressive de l’influence française et de la volonté marocaine de traiter d’égal à égal avec son ancien colonisateur.
La montée en puissance du Maroc sur la scène internationale
Parallèlement à l’érosion de l’influence française, on assiste à une montée en puissance du Maroc sur la scène internationale. Le royaume développe une diplomatie active en Afrique, renforce ses liens avec les monarchies du Golfe, se positionne comme un acteur clé dans la lutte antiterroriste et la gestion des flux migratoires. Cette affirmation internationale permet au Maroc de réduire sa dépendance vis-à-vis de la France et d’accroître son poids dans les négociations bilatérales. Le Maroc n’hésite plus à s’opposer ouvertement à la France sur certains dossiers, comme lors de l’intervention en Libye en 2011. De manière significative, le Maroc a réussi à damer le pion à la France en Afrique subsaharienne et de l’Ouest, en devenant un des principaux opérateurs et investisseurs économiques dans la sous-région, concurrençant directement les intérêts français dans ce qui était traditionnellement considéré comme leur pré carré.
La stratégie de pression marocaine : le Sahara comme levier
À partir des années 2010, le Maroc adopte une stratégie de pression plus agressive vis-à-vis de la France, utilisant la question du Sahara occidental comme levier. Rabat conditionne de plus en plus ouvertement l’amélioration des relations bilatérales à un soutien clair de Paris à sa position sur le Sahara. Cette stratégie s’accompagne d’une diversification accélérée des partenariats stratégiques, notamment avec les États-Unis qui reconnaissent en 2020 la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental. Cette reconnaissance américaine renforce la position du Maroc et accroît la pression sur la France.
2021-2024 : la crise diplomatique qui change tout
La période 2021-2024 est marquée par une crise diplomatique profonde entre la France et le Maroc. La réduction drastique des visas accordés aux Marocains par la France en 2021, perçue comme une humiliation à Rabat, cristallise les tensions. Le Maroc suspend sa coopération judiciaire et sécuritaire avec la France, mettant en lumière l’interdépendance des deux pays dans des domaines cruciaux. Cette crise, d’une ampleur inédite, pousse les deux parties à repenser fondamentalement leur relation. Le Maroc maintient sa pression, refusant tout dégel des relations sans un changement de la position française sur le Sahara.
2024 : La reconnaissance française, tournant historique
Fin 2024, la France, cédant à la pression marocaine et constatant son isolement croissant sur la question du Sahara occidental, finit par reconnaître la souveraineté marocaine sur ce territoire. Cette décision, qui marque un tournant historique, ouvre la voie à la visite d’État d’Emmanuel Macron au Maroc. Cette visite, si elle symbolise la reprise de relations excellentes entre les deux pays, marque paradoxalement la fin définitive de l’influence résiduelle française au Maroc. Elle consacre la victoire de la stratégie marocaine et ouvre un nouveau chapitre dans les relations bilatérales, désormais fondées sur un pied d’égalité. Le Maroc a réussi à imposer ses conditions à son ancien colonisateur, illustrant son émancipation totale et son statut de puissance régionale incontournable.
Conclusion
L’évolution des relations franco-marocaines de 1956 à 2024 illustre le passage d’une relation post-coloniale asymétrique à un partenariat entre deux États souverains. Ce processus, marqué par des crises et des ajustements constants, aboutit à une redéfinition profonde des relations bilatérales. La reconnaissance française de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental en 2024 marque symboliquement la fin de l’influence résiduelle française et le début d’une nouvelle ère dans les relations franco-marocaines.
En s’imposant à la France, pour la première fois depuis 1905, en l’obligeant à adopter une position favorable sur le dossier du Sahara marocain, le Maroc franchit un cap décisif dans son affirmation internationale. Cette victoire diplomatique libère le royaume d’un obstacle majeur à ses ambitions régionales et continentales. Désormais, le Maroc peut se consacrer pleinement à se convertir en un véritable État pivot, étape cruciale vers son objectif de devenir une puissance continentale à part entière.
Ce changement de paradigme ouvre la voie à un partenariat potentiellement plus équilibré entre la France et le Maroc, mais soulève également des questions sur l’avenir de la coopération entre les deux pays dans un contexte géopolitique en mutation. Le Maroc, fort de ce succès diplomatique, se positionne comme un acteur incontournable en Afrique, concurrençant directement les intérêts français traditionnels et redéfinissant les équilibres de pouvoir sur le continent. Cette nouvelle dynamique annonce une ère où le Maroc, libéré
de l’influence résiduelle française, peut pleinement déployer sa stratégie d’influence et de développement à l’échelle continentale.