DÉCRYPTAGE
Par Abdelhakim Yamani
Dans son discours du 6 novembre 2024, Mohammed VI répond aux ambitions atlantiques de l’Algérie par une formule d’une redoutable habileté : « nous n’y sommes pas opposés ». Cette réponse, qui pourrait paraître anodine, révèle en réalité une vision géostratégique ambitieuse pour tout le continent africain. En rappelant l’initiative marocaine d’accès à l’Atlantique pour les pays du Sahel, annoncée le 23 décembre 2023 à Marrakech, le Souverain ne fait pas que répondre à l’Algérie : il dévoile les contours d’un projet continental qui réinvente les routes historiques du commerce transsaharien à l’ère moderne.
La vision stratégique marocaine s’appuie sur une légitimité historique profonde. Pendant des siècles, le Maroc a joué un rôle central dans les échanges transsahariens. De 1890 à 1956, malgré la colonisation, le Royaume a maintenu des liens vivaces avec l’Afrique subsaharienne à travers les routes commerciales traditionnelles reliant Fès et Marrakech à Tombouctou, les réseaux spirituels, notamment via l’influence de la Tijania, les communautés marchandes marocaines établies dans toute l’Afrique de l’Ouest, et le maintien des liens académiques via la Quaraouiyine. Cette continuité historique, préservée même pendant la période coloniale, confère au Maroc une légitimité unique pour proposer une vision renouvelée des échanges transsahariens.
L’initiative d’accès à l’Atlantique représente bien plus qu’un simple projet d’infrastructure. Elle constitue une vision intégrée qui englobe des dimensions multiples : infrastructurelle avec des réseaux de transport multimodaux, des corridors énergétiques et des plateformes logistiques ; économique à travers l’intégration des systèmes financiers et l’harmonisation des procédures douanières ; et sécuritaire par la coordination des efforts de stabilisation et la protection des infrastructures critiques.
Conformément à la « doctrine Mohammed VI », l’annonce de ce projet signifie que les conditions préalables sont déjà établies. Les études de faisabilité sont réalisées, les sources de financement identifiées, les accords préliminaires obtenus. Cette méthodologie éprouvée, caractéristique des grands projets marocains, suggère une préparation minutieuse et une vision claire des étapes de mise en œuvre.
Les implications géopolitiques de cette initiative sont considérables. Pour les pays du Sahel, elle offre une perspective de désenclavement économique et de diversification des partenariats. Au niveau maghrébin, elle redéfinit les rapports de force et propose une nouvelle architecture régionale dépassant les blocages traditionnels. Pour les puissances internationales, elle ouvre un nouveau cadre de coopération et des opportunités d’investissement significatives.
Les défis sont à la mesure de l’ambition. La stabilisation sécuritaire du Sahel reste un préalable crucial. L’ampleur des investissements requis et la complexité de la coordination multilatérale constituent des obstacles majeurs. Les résistances politiques et les rivalités régionales ne manqueront pas de se manifester.
Plusieurs scénarios d’évolution sont envisageables, du plus optimal impliquant une réalisation progressive accompagnée d’une stabilisation régionale, au plus minimal avec des réalisations limitées et une persistance des instabilités. Entre les deux, un scénario intermédiaire de réalisation partielle et d’intégration sélective semble le plus probable.
Le succès de cette vision transformatrice dépendra de la capacité à maintenir une dynamique de stabilisation régionale, à mobiliser les financements nécessaires, à coordonner les multiples acteurs impliqués et à surmonter les inévitables résistances au changement.
La réponse du Roi aux ambitions algériennes révèle ainsi un projet géostratégique majeur capable de redessiner les équilibres continentaux. En s’appuyant sur son héritage historique et sa méthodologie éprouvée, le Maroc propose une vision qui pourrait transformer durablement l’Afrique. Ce qui apparaît comme une simple réplique diplomatique cache en réalité un grand dessein africain dont la portée dépasse largement le cadre traditionnel des relations maghrébo-sahéliennes.
*© IGH 2024 – Institut Géopolitique Horizons*