Par Abdelhakim Yamani
La mobilisation numérique contre Boualem Sansal illustre la puissance des réseaux sociaux dans la construction moderne d’un ennemi public. L’arrestation de l’écrivain déclenche un dispositif rhétorique où chaque tweet participe à la justification de l’action étatique et à la délégitimation systématique de toute voix critique.
Le processus de démolition de l’intellectuel opère par étapes calculées. Ses parents, originaires du Rif marocain, voient leur origine transformée en arme rhétorique. Cette généalogie sert à construire un récit de trahison innée, comme si l’héritage familial prédéterminait une déloyauté envers l’État algérien.
La théorie du complot enrichit la narration en inscrivant l’affaire dans une conspiration internationale. Paris et Rabat apparaissent comme les architectes d’une machination impliquant élites françaises et « lobby franco-sioniste », transformant une simple arrestation en acte de résistance nationale.
Les piliers de l’identité nationale algérienne sont méthodiquement mobilisés contre lui. Ses positions sur les frontières, l’histoire nationale et l’Islam sont présentées comme les preuves irréfutables d’une trahison fondamentale, touchant aux tabous les plus sensibles de la société.
La souveraineté nationale devient le bouclier rhétorique parfait. L’indépendance judiciaire et le rejet des pressions internationales masquent la tension entre l’affirmation d’une souveraineté absolue et la conscience d’un regard extérieur critique.
La violence verbale atteint des niveaux extrêmes. Les appels à peine voilés à la violence physique et les références à la peine capitale s’accompagnent d’un processus de déshumanisation systématique à travers des métaphores dégradantes.
Les réseaux sociaux démontrent leur efficacité comme instruments de répression sociale. La standardisation du discours révèle une coordination implicite, transformant les plateformes numériques en espaces de démonstration de l’unanimité nationale.
Le débat sur la liberté d’expression se trouve piégé dans l’étau de la souveraineté nationale. Cette manœuvre habile évite toute discussion sur les libertés fondamentales en transformant la critique en agression contre la nation.
L’espace public algérien se rétrécit sous l’effet de cette dynamique. La rapidité et l’efficacité avec laquelle se déploie le discours nationaliste sur les réseaux sociaux révèle un mécanisme redoutable de contrôle social.
L’uniformité des réactions trahit l’intériorisation profonde des réflexes défensifs collectifs, étouffant toute possibilité d’une pluralité de points de vue sur les questions sensibles de société.